En cette année 2009 du double centenaire de la naissance de Charles Darwin et 150 ans après la parution du livre : L’Origine des espèces, voici une réflexion (3e partie) du Père Jean-Christhophe Maldamé, op sur le lien entre foi et théorie de l’évolution.
III L’action de Dieu dans l’évolution
Le croyant reconnaît que Dieu est créateur. La notion de création signifie que Dieu fait paraître les êtres « à partir de rien » – ex nihilo. Cette expression qui est déjà métaphysique a été mise au point par les premiers Pères de l’Église au deuxième siècle pour réfuter la philosophie hellénistique et le paganisme gréco-romain. Elle est universellement reconnue et doit être prise comme définition Or cette définition abstraite n’est pas entendue de manière uniforme par les théologiens et les philosophes.
1. Une nouvelle représentation
1. La conception qui domine encore la notion de création se trouve dans la philosophie de Descartes et la philosophie déterministe qui lui est liée. Dieu fait surgir les êtres hors du néant ; il les constitue dans leur identité, il les dispose dans l’espace et leur donne la quantité d’énergie qui préside au déroulement des mouvements. Cette vision limite la création au seul premier moment de l’univers, puisqu’après la première impulsion, Dieu laisse agir toute chose selon les lois. Il se réserve toutefois le droit d’intervenir. Son intervention est alors une rupture des lois de la nature ou pour le moins une exception ou une suspension de leur cours. Cette représentation de la création est encore la plus commune. C’est d’elle que viennent toutes les confusions qui s’appellent créationnisme ou concordisme.
Cette conception de la création limite l’action de Dieu au premier instant de l’existence et au tout premier commencement. Là où il n’y avait rien, Dieu a fait quelque chose de parfait et d’achevé, pour l’abandonner ensuite. Cette vision a présidé à la lecture de la Bible dans bien des catéchismes. Dieu a fait les divers éléments qui constituent l’univers, le cadre spatio-temporel, ensuite les êtres célestes, ensuite les êtres terrestres et parmi eux, les vivants, bien distincts les uns des autres. Cette représentation ne faisait nulle difficulté quand le petit nombre d’espèces connues et la brièveté de l’histoire du monde s’imposaient comme une évidence.
2. La théorie de l’évolution modifie cette vision de la nature. D’une part, elle multiplie les espèces et déplace les frontières entre elles. D’autre part, elle reconnaît une continuité entre les divers moments de l’histoire des transformations des vivants. Le changement dans les faits invite à penser l’action de Dieu non plus comme une intervention qui brise le cours des événements et leurs enchaînements, mais comme un accompagnement au sein même du processus.
Ce qui relance l’interrogation dans la mesure où les mutations qui sont à la base des transformations sont considérées comme dues au hasard – terme si chargé de connotations diverses qu’il doit être sévèrement critiqué.
Dans ce contexte, la question se pose donc en ces termes :« Comment Dieu agit-il dans l’évolution ? » se pose de manière plus précise : « Comment Dieu est-il présent au processus qui préside les transformations des vivants de générations en générations ? »
3. Une première remarque s’impose : la théorie de l’évolution présente les faits au sein d’une histoire. Les événements sont tous marqués du sceau de la contingence.
Il semble que l’on pourrait dire avec certains auteurs que la reconnaissance de la contingence est un préalable indispensable ; il permet de dire que d’elles mêmes les réactions bio-chimiques marquées du sceau de l’aléatoire invitent à reconnaître que Dieu a agi pour lever l’incertitude et donner une orientation. Ainsi il apparaît que l’action de Dieu est la clef de l’évolution et la raison de son succès.
Une image vient à l’esprit : elle a été souvent utilisée dans l’apologétique. J’ai garé ma voiture sur le parking devant ma maison en rentrant le soir ; si je la retrouve le matin quelques mètres plus loin, je penserais légitimement qu’elle a pu y aller toute seule en roulant selon la déclivité du terrain ou selon un événement imprévu – elle s’est comportée en automobile ! Mais si je ne la retrouve pas et qu’on me dit qu’elle se trouve à quelques kilomètres de là, je penserai légitiment qu’elle n’y est pas allée toute seule : quelqu’un l’y a menée. D’elle-même, elle ne pouvait y aller – et ne saurait se comporter en automobile ! Cette image peut s’appliquer à l’histoire des vivants en la considérant dans son ensemble.
Ainsi la réussite de la vie attesterait l’orientation donnée par Dieu, utilisant les lois de la nature pour mener la vie à une réalisation plus haute – plus complexe, puisque des premières bactéries jusqu’à l’homme il y a manifestement une victoire sur le chaos et l’inorganisé.
Cette apologétique ne suffit pourtant pas, car elle ne répond pas à toutes les questions qui se posent : en particulier celle de savoir comment on peut joindre l’action de Dieu à celle des forces de la nature sans qu’elles ne soient dénaturées.
2. Divers ordres d’action
Une première image vient à l’esprit pour dire l’action de Dieu dans la création : celle d’un concours de forces. Plusieurs forces viennent composer entre elles pour donner un effet qui résulte de l’harmonisation de leurs concours. De même en biologie, plusieurs facteurs coopèrent pour produire un même état, facteurs internes ou facteurs externes.
Cette vision des choses est malheureusement source d’erreur. La plus commune est que Dieu est ainsi requis pour servir de « bouche-trou » à l’ignorance. Là où on ne sait pas on met l’action de Dieu ou pire encore à la notion équivoque de sacré. Ce fut la maladresse de Newton qui après avoir décrit l’univers soumis à la loi de gravitation universelle fut effrayé par la perspective d’un effondrement gravitationnel général qui réduirait à néant l’ordre de l’univers. Il écrivit dans les scholies de la fin de son traité Principia mathematica que Dieu avait disposé les astres en telle position que ceci ne pourrait advenir. Plus tard, lorsque Laplace montra que les orbites planétaires étaient disposées selon l’ordre même des lois de la physique, il déclara que l’appel à l’intervention spéciale de Dieu était « une hypothèse inutile ». Les corps célestes en mouvement trouvaient d’eux-même leur position d’équilibre. Ainsi son refus s’appuyait sur l’adage bien connu des philosophes : « natura sufficit » (la nature suffit).
L’erreur de cette présentation vient de ce que l’on place tous les êtres au même plan – ontologique. La notion d’interaction ou de concours de force implique un partage des forces et donc une limitation voire une exclusion, parce que ces forces se déploient dans le même espace et sont de même mode.
L’erreur est de placer Dieu au même plan que les créatures et son action comme une force parmi d’autres. Le terme d’intervention qui le connote doit donc être évité.
Une autre image peut être ici employée. Celle de la musique. Pour qu’il y ait musique, il faut qu’il y ait un instrument et un musicien. Pas l’un sans l’autre. Pas de sonate sans piano et sans pianiste. Or dans ce que l’on entend, la sonate jouée, tout est du piano et tout est du pianiste. Tout sans exclusion aucune, car les principes d’action ne sont pas du même ordre au plan ontologique. Ainsi dans l’histoire de la vie : tout est l’oeuvre des forces de la nature et tout est l’oeuvre du créateur, parce qu’ils ne sont pas au même plan ontologique. Rien sans l’un, rien sans l’autre.
L’image permet de comprendre l’action de Dieu dans l’évolution. Tout est fait par les éléments de la nature, selon leurs possibilités. Mais tout est fait par Dieu. Dieu ne vient pas fausser le jeu des possibles ; il lui donne d’être et en lui donnant d’être, il ouvre le champ du possible vers une réalisation meilleure.
Ainsi la conduite de Dieu est-elle présente à tous les moments dans la continuité du temps comme une orientation et une présence et non comme une intervention qui viendrait brusquer ou fausser le jeu naturel des événements aléatoires. Il n’est donc pas nécessaire d’adopter une conception saltationniste ou de tenir pour l’orthogenèse pour reconnaître l’action de Dieu dans l’évolution. On peut adopter la théorie synthétique et ses diverses versions. Le choix entre les diverses théories doit être motivé par des considérations scientifiques sans que le jugement soit motivé par une considération théologique.
Que Dieu respecte la nature des lois et des processus de la vie, permet de répondre à notre question de savoir comment Dieu agit dans l’évolution. Mais une difficulté subsiste, celle de bien comprendre ce que l’on entend par action de Dieu. C’est là le coeur des difficultés actuelles.
3. Sagesse et puissance
Les conflits entre les scientifiques et les croyants viennent de la manière dont est pensée l’action de Dieu. Les refus de cette action sont liés à l’idée que l’on s’en fait. En effet, si la création est un don, le don actuel de l’être, il reste à se demander : L’action de Dieu est-elle une violence faite au cours des choses ?
Sur ce point la tradition théologique est partagée en deux tendances qui demeurent inconciliables. Il s’agit de l’interprétation de la toute-puissance de Dieu. On peut poser la question en termes de spiritualité dans le dilemme suivant : « Est-ce bien parce que Dieu le veut ? Ou est-ce parce que c’est bien que Dieu le veut ? »
Pour certains auteurs – dans une tradition monastique marquée par un certain anti-intellectualisme -, Dieu peut faire ce qu’il veut, puisqu’il dispose d’une liberté absolue. Dieu peut faire une chose et son contraire. Il peut faire, par exemple, que ce qui fut n’ait pas été ; il peut non seulement suspendre un enchaînement de causes, mais le modifier selon les circonstances ; il peut modifier un processus et pas un autre ; il peut bouleverser les lois de la nature. Le caractère absolu de sa toute-puissance et de sa liberté fait que Dieu peut l’impossible et même le contradictoire.Le croyant doit obéir sans comprendre.
Pour d’autres théologiens, l’action de Dieu est celle d’un Sage et donc son vouloir est ordonné. Dieu ne peut se contredire. Il ne peut faire qu’une chose qui fut jadis n’ait pas été. Il ne peut faire des cercles carrés. Il ne peut fausser le jeu des causalités.
Ainsi Dieu fait selon un certain ordre ; sa conduite respecte cet ordre, dont il est le fondateur. L’action de Dieu n’est donc pas arbitraire. Ainsi la manière dont Dieu agit dans l’évolution respecte l’ordre premier de la nature ; cet ordre est inscrit dans les lois et les règles qui président aux changements d’état. L’aléatoire reste aléatoire. Le contingent reste contingent. L’ordre naturel est respecté ; les interventions de Dieu ne sont pas des violations de l’ordre de la nature.
Seule cette dernière conception théologique me semble s’accorder avec le développement de la science.
Ainsi il importe de dire que l’action de Dieu dans l’évolution est respectueuse des lois et des règles que permet de bien comprendre la théorie de l’évolution. L’action de Dieu n’est pas une violence, ni même une ruse, pour que sa volonté se réalise inconditionnellement. Au contraire, elle fonde un ordre naturel qui n’est pas modifié de manière arbitraire. Une telle perspective invite à regarder l’ensemble de l’oeuvre de Dieu et à y voir la réalisation d’un projet respectueux de ce qui est. La démarche scientifique est honorée et justifiée. Seule cette conception me paraît respecter tant la bonté de Dieu que la grandeur de l’homme.
Conclusion
La théorie de l’évolution et la théologie de la création ne s’opposent en rien. Au contraire, elles participent d’une même recherche la vérité. Relevons quelques points par manière de conclusion.
La domination du paradigme historique permet de redonner sens à des expressions qui étaient jusque là réservées au traité de la Providence concernant l’humanité. En effet, pour respecter la liberté humaine, l’analyse théologique a dû préciser en quel sens l’action de Dieu n’était pas une violence ni une absence.
Le fait que la vie soit présentée dans une histoire universelle invite à étendre ce vocabulaire à tous les vivants. On doit donc parler de l’action de Dieu en terme de persuasion et d’appel. La notion classique de causalité efficiente trop marquée par le déterminisme est ainsi redéfinie et corrigée, pour insister sur la présence continuelle du don de l’être et le respect de la nature instituée par l’acte créateur.
Cette définition permet enfin d’honorer une dimension fondamentale de la vie. Le vivant est caractérisé par le désir d’être. Il y a en tout vivant un vouloir fondamental : le vivant tend vers son achèvement, son développement optimal. Il s’intègre dans un ensemble où il joue un rôle qui est finalement de progrès. La vie est un mouvement vers une globalité et un dépassement des limites de ce qui est acquis. Dans la philosophie classique, on appelait ceci « amour naturel ». Amour, maître mot de la vie ; plus encore, source de tout dynamisme et principe de vie ! Les chrétiens lui donnent un visage, celui du Logos (Sagesse de Dieu et Parole créatrice) dont le prologue de l’évangile de Jean nous dit : « De tout être il était la vie » (Jn 1, 3).
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