Saint Antoine

La vie de saint Antoine le Grand a été écrite par saint Athanase d’Alexandrie (357), le plus ardent défenseur de la foi orthodoxe lors de la crise arienne.

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Antoine est né en 251, en Moyenne Egypte, près de Memphis, dans une famille d’agriculteurs. Ses parents sont chrétiens, sa famille est aisée. Antoine tout jeune veut demeurer avec simplicité dans sa maison. Il refuse d’apprendre les Lettres, afin d’éviter le contact avec d’autres enfants. Antoine n’est pas un enfant arrogant, mais attentif aux lectures, il aime à en garder le fruit dans son cœur.
Il devient orphelin vers 18 ans et responsable de famille : gérer les biens de sa famille et veiller à l’avenir de sa sœur.

La lecture du jeune homme riche (Matthieu 19) qu’il entend à l’Église rejoint ses préoccupations profondes : toute la Bible lui devient présente et il a le sentiment que la lecture a été faite pour lui : une personnalisation de l’Évangile.
Antoine met en pratique l’Évangile : il fait don de sa terre et de ses biens, après avoir préservé le nécessaire pour l’avenir matériel de sa sœur.

Ainsi, Antoine est libre d’engager sa vie pour devenir disciple du Christ ; il s’agit du don de sa vie. Pour cela, il part au désert, où il vivra en solitude concrète de longues années. Rapidement des disciples viennent à lui. Soucieux de les conduire au Christ, Antoine sera très attentif à leurs besoins. Il devient leur Père, et sa parole dépasse les frontières du désert. Antoine meurt à plus de cent ans. Il demande à ses frères de garder secret le lieu de sa sépulture, afin de ne pas devenir une idole.


Saint Athanase : Vie de Saint Antoine, éditions des Belles Lettres, Paris
Toutes les citations sont extraites de ce livre ou de Les Saints moines d’Orient, Éditions du Soleil Levant, 1959, Belgique

L’expérience de la prière

Antoine quitte son village pour devenir disciple du moine Pantalémon. Il s’initie à la vie érémitique : il ne part pas tout seul, il se laisse guider, enseigner. Il va vers celui qui est devant lui sur la route et qui peut l’aider, l’orienter.
Progressivement, il va tendre vers une plus grande solitude. Il vit du travail de ses mains. Enfin, il est attentif à la lecture des Écritures : « la mémoire lui tenait lieu de livre », nous dit Athanase, et il peut ainsi répondre au « priez sans cesse » que recommande saint Paul.

Antoine visite d’autres moines, comme une abeille qui fait son miel de fleurs différentes : il a le goût de recueillir ce qui est bon chez le moine qu’il rencontre et il s’applique à faire de même. Son regard est orienté vers un seul but : aimer Dieu et aimer ses frères, et il ordonne petit à petit toutes ses énergies, tous ses désirs dans ce sens.

L’humble attitude d’Antoine peut être une école : apprendre, comme un joyeux exercice, à voir dans mes proches, dans une rencontre, une attitude, une qualité, un bien, et essayer de le vivre moi aussi. N’est-ce pas là une action de grâce que je fais à Dieu, en reconnaissant le bien de sa créature ? Nous sommes si peu enclins au bien, nous avons besoin les uns des autres pour nous y entraîner, car de même que ‘l’amour va à l’amour’, l’inverse est aussi vrai.

Le combat spirituel

« La grandeur et la dignité sont la vocation de l’homme, et l’homme est l’espérance de Dieu » (Maurice Zundel)

Une école, un apprentissage, des exercices … donc, nécessité de temps, de travail sur soi, droit à l’erreur, progression, réussite et mise à l’épreuve ; les échecs font partie de la route … Oui, je peux aussi me tromper, recommencer sans cesse les exercices, telle une danseuse qui fait ses pointes ou un musicien qui fait ses gammes tous les jours. C’est de cet ordre là, sauf, que cela ne se voit pas et se pratique là où je suis.

A 35 ans, Antoine s’enfonce dans le désert oriental (Deir el Maïmoun) où il va vivre 20 ans, avec deux visites par an. A 55 ans, on force sa retraite. Mais où qu’il se trouve, Antoine est un homme paisible. Dans sa vie, il est beaucoup question de luttes contre des démons. Dans le combat spirituel il est essentiel de discerner, de distinguer ce qui relève de la lumière et ce qui en moi relève des ténèbres. Les démons signifient les luttes à l’intérieur de nous-mêmes, du fait de notre division interne : c’est souvent parce qu’il y a eu acquiescement à une suggestion mauvaise que cette tendance est devenue mienne. Nous sommes en chemin, et ce qui est dynamique c’est que chaque jour je dois être attentif à moi-même, et à Dieu. La vie de tout être humain est un chemin dans un jeu de lumière, d’ombres et de ténèbres. « Celui qui fait la vérité vient à la lumière », nous dit Jésus (Jean 3, 2).

La vie spirituelle est associée à ‘la religion’, et c’est dommage. Il est vital de donner vie à notre être vivant, être qui pense, qui réfléchit, qui est capable de louange, et de grandir dans le bien, le beau, le vrai. Le combat pour un chrétien est de demander la Lumière, celle de l’Esprit Saint, pour apprendre à voir ce qui est lumière et ce qui ne l’est pas ; pour avoir le courage et la force de faire ce que j’ai reconnu comme bon. La vie spirituelle n’est pas de passer des heures à la prière, mais de consentir à l’oeuvre de Dieu en soi. Si tu acceptes tous les jours de dire ‘oui’, que tu demeures patient et animé d’un désir d’amour envers Dieu et envers tes frères, de reconnaissance et de confiance, tu verras de grandes choses.

L’expérience de liberté

« C’est ainsi que l’on connaissait Antoine : il n’était jamais troublé, parce que son âme était sereine, pacifiée ; il n’était jamais sombre, parce que son esprit était dans la joie. » Antoine était un homme libre.

L’être humain apprend par l’expérience à discerner tout ce qui se passe dans le monde et en lui-même. Nous pouvons apprendre, par l’expérience quotidienne, à donner plus de poids au bien. C’est ainsi que nous pouvons nous entraîner à la liberté. Je dois apprendre à reconnaître quelles sont les vraies valeurs par rapport aux anti-valeurs : cela est l’entraînement à la liberté. L’inversion des valeurs produit le manque de discernement et la volonté destructrice.
Nous pouvons distinguer deux formes typiques d’anti-valeurs : la confusion des valeurs, et l’affirmation que tout est relatif, qu’il n’y a pas de valeurs absolues. Nous devons sans cesse être vigilants qu’un fait, une idée, aussi généralisés soient-ils, ne sont pas pour autant une valeur.

La vie érémitique de saint Antoine a donné naissance à la vie monastique. Le moine est celui qui est toujours ‘attentif à lui-même’, c’est à dire qu’il exerce sa vigilance à mettre en oeuvre sa liberté, cherchant à vivre le comportement le plus libérateur possible. Il ne s’agit pas d’un rapport à soi, narcissique, de complaisance ou de plaisir dévié. La liberté est faussement associée à ‘faire ce que l’on veut’, c’est terrible, et parfois terriblement ennuyeux car « est-ce que je sais ce que je veux ? »

Antoine avait dès son jeune âge de grands désirs ; il n’étudie pas, mais à la fin de sa vie on lui reconnaît une admirable sagesse ; il vit dans le désert, et c’est lui que l’on vient chercher pour agir dans le monde contre les hérésies. Comment un homme qui vit dans le désert, en Moyenne Egypte au IIIème siècle, peut-il être connu en Gaule, en Espagne, en Afrique et à Rome, si Dieu ne s’en mêlait pas ?
Antoine nous donne des pistes d’une vie de fou ! Un fou qui ne supporte pas que l’Amour ne soit pas aimé, comme le disait saint François d’Assise.
Oui, sois attentif à toi-même, et dans l’ouverture aux autres et à la vie, va et cherche : n’aie pas peur des combats, des combats avec toi-même : la victoire est pour toi, dès lors que tu t’appuies sur le Seigneur des Vivants, qui a vaincu la mort. Crois seulement, et ne crains pas !

Breteuil-56