La route de l’Avent approche de son terme. Après Jean-Baptiste, c’est Marie qui vient nous accompagner ; plus exactement, elle nous précède sur la route.
Sur la route vers Noël, Marie nous montre d’abord qu’il ne s’agit pas de faiblir : « Marie se mit en route rapidement » dit le texte de saint Luc. Au moment de la naissance de Jésus, tout semble en effet s’accélérer. Avec Marie, mais aussi avec l’emploi de l’adverbe « rapidement » qui revient plusieurs fois dans l’Evangile de Luc, dans les récits de la Nativité.
A travers la rapidité des personnes, Marie, les bergers, les mages, saint Luc veut montrer que c’est l’histoire elle même qui s’accélère. Avec l’Incarnation, l’événement central de l’histoire humaine, il y a un changement de rythme, une accélération du tempo. C’est par rapport à cet événement qu’on peut déterminer un avant et un après. Au moment de Noël, tout s’accélère.
J’ai l’impression que c’est aussi le cas de beaucoup d’entre nous qui galopons dans les rues de la ville, allant d’un magasin à un autre, bouclant des achats qui devront impérativement être terminés le soir du 24 décembre. C’est vrai qu’il est bon de ne pas traîner dans la vie, de ne pas perdre de temps, mais il faut toujours s’interroger sur le bien fondé de ce qui nous fait courir.
Aujourd’hui c’est Marie qui nous précède et nous accompagne sur la route. Elle est la Vierge Marie, la Mère de Dieu. Si cela lui donne une place tout à fait unique, elle demeure cependant une femme. Si l’Evangile nous interroge sur ce qui nous fait courir, il nous appelle aussi à nous arrêter sur l’identité et le rôle des femmes, dans la société, mais aussi dans l’Eglise.
D’abord, une question de méthode : puisqu’il est question des femmes, ne serait ce pas à elles de prendre la parole à ma place, qui suis un prêtre, qui suis un homme ?
Il est certain que c’est souvent le premier intéressé qui parle le mieux de lui-même. Le mieux ? Il faut parfois s’interroger. En tout cas, c’est lui dont c’est le droit le plus fondamental. Cependant, heureusement que nous ne sommes pas seul pour parler de nous. Dans la foi, nous savons que Dieu est celui qui nous révèle notre destinée la plus grande. Et puis, il faut croire que les autres peuvent toujours nous renvoyer un regard sur nous même différent du nôtre, mais toujours enrichissant.
Puisqu’il est question des hommes et des femmes, constatons que les hommes ne sont pas insensibles lorsque les femmes parlent d’eux. Peut-être est ce aussi le cas pour les femmes lorsque ce sont les hommes qui en parlent. Mais surtout, et plus profondément, il faut défendre la capacité qu’a chaque personne de connaître et de parler de situations qui ne sont pas les siennes. L’esprit de chacun d’entre nous possède une capacité à l’universel et à l’abstraction. Si on lui dénie cela, on s’interdit toute analyse et tout raisonnement, on ne s’autorise que le fait brut et que le témoignage ; on se prive de moyens pour chercher à comprendre le sens de ces faits.
Pourtant, c’est une tendance actuelle. Certaines émissions de télévision sont faussement appelées des débats, alors qu’on s’y contente d’aligner une suite de témoignages, sans que personne ne s’autorise à une analyse d’ensemble et à un jugement critique.
Un homme peut donc parler des femmes, sans bien sûr avoir l’illusion ou la prétention d’en parler mieux qu’elles.
La place nouvelle qu’ont les femmes dans la société a été vue par l’Eglise comme un « signe des temps ». Qu’est ce à dire ?
C’est le Concile Vatican II qui a employé cette expression. Elle veut dire que Dieu s’exprime aussi à travers les mutations d’une société. Des changements profonds et bien sûr durables montrent qu’il ne s’agit pas simplement d’être à la mode mais qu’ils doivent être considérés comme des appels que Dieu nous adresse. Ne pas en tenir compte, ce serait être sourd à la Parole divine et à l’Esprit.
Voici comment s’exprime à ce sujet un des textes de Vatican II, la Constitution pastorale sur l’Eglise dans le monde de ce temps, Gaudium et Spes :
« L’Eglise a le devoir à tout moment, de scruter les signes des temps et de les interpréter à la lumière de l’Evangile, de telle sorte qu’elle puisse répondre, d’une manière adaptée à chaque génération, aux questions éternelles des hommes sur le sens de la vie présente et future et sur leurs relations réciproques. Il importe donc de connaître et de comprendre ce monde dans lequel nous vivons, ses attentes, ses aspirations, son caractère souvent dramatique » n°4 § l.
La place nouvelle des femmes doit être vue comme un signe des temps où s’entend un appel de Dieu. Voici ce qu’écrivait le Pape Jean Paul II, dans une lettre qui date de 1994.
« Les femmes ont tout à fait le droit de jouer un rôle actif dans tous les secteurs de la vie publique, et leur droit doit être affirmé et défendu ; y compris par des instruments juridiques lorsque cela s’avère nécessaire. Mais à condition que cet engagement ne se fasse pas au détriment du rôle irremplaçable au cœur de la famille. »
Par là, le pape dépasse la fausse opposition où l’on prétend inconciliable les missions d’épouse et de mère et un engagement dans la société et dans une vie professionnelle. Cette conciliation peut certes présenter des difficultés, mais une femme peut être pleinement accomplie ou dans l’un et dans l’autre, mais aussi, et dans l’un et dans l’autre. Cela, des femmes le disent et surtout le vivent. Sans doute concourent-elles ainsi à promouvoir une autre forme de vie en société. Une forme de vie où la personne est considérée dans toutes ses dimensions, et non seulement à travers ce qu’elle peut produire.
L’histoire s’est accélérée au XXe siècle, pas seulement par le développement des énergies et de l’informatique, mais surtout par la place nouvelle des femmes.
Avec Marie, tout s’est accéléré dans l’histoire du monde ; elle a donné le Sauveur des hommes. Marie qui à la fois est mère et à la fois est disciple ; Marie dont la parole, dont le « oui », permet ce tournant de l’histoire. Sa parole, si décisive, ne peut que nous appeler tous à prendre au sérieux la parole de chacun, bien sûr, et certainement la parole des femmes.